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l’abbaye d’évolayne

— La mort même — qu’elle survienne bientôt ou plus tard, — la mort même, Adé, ne nous séparera que si vous le voulez, car toutes les créatures de Dieu se retrouvent en Dieu.

Il attendit quelques instants. Elle ne répondit pas. Ses lèvres s’agitaient, non pour parler, mais dans le mouvement lent et pénible de la soif. Il se leva pour la faire boire, puis, s’agenouillant à nouveau, l’attira contre son épaule, renversa sous sa main le cher visage afin d’y surprendre les moindres reflets de la pensée.

— Dieu ! répéta-t-il avec insistance, certain de lui offrir par ce seul nom la plénitude du secours.

Mais à travers les sombres prunelles malades démesurément agrandies dont il épiait les moindres lueurs, l’âme, à nouveau submergée d’ombre, ne jeta nul éclair. Par deux fois Adélaïde secoua la tête en signe de refus.

— Ah ! soupira-t-elle, j’ai rêvé d’un Dieu miséricordieux… mais ce Dieu Moloch, altéré du sang de ses créatures… ce Dieu qui m’a tout demandé.

— Ne confondez pas, protesta le moine humblement, c’est moi qui vous ai tout demandé, c’est moi qui par mon désir, trop clair pour votre amour, vous ai poussée hors de la voie normale où Dieu vous eût laissée, moi seul ai contrarié l’œuvre de sa grâce. Ah ! le Christ sera éternellement trahi par ceux qui se croient ses apôtres. Il a pris sur lui toute la croix et je n’ai su, disciple infidèle, qu’en charger votre faible épaule. Mais, Adé, il n’est pas possible que ce Dieu dont j’ai déshonoré l’image ne soit pas le vôtre. Vous savez bien, qu’il n’est qu’amour.