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l’abbaye d’évolayne

— Ne me quittez plus jamais, suppliait-elle, car ce petit mot ne désigne à présent qu’une très courte durée. Restez avec moi, supportez-moi. L’épreuve sera brève et puis vous serez libre à jamais. Oh ! Michel, j’ai vécu assez longtemps seule, je ne veux pas mourir sans vous.

Elle s’accrochait à lui, les deux bras noués à son cou et il ne la repoussait pas. Il ne craignait plus ce corps si beau qui cessait d’être un instrument de tentation, corps déjà miné par la mort, dont la splendeur intacte encore mais menacée, attestait la victoire inéluctable du néant sur toute chair, la vanité des apparences à quoi se prend l’amour humain. Et le moine serrait contre lui la grande forme frémissante comme pour l’empêcher de se dissoudre et pour lui communiquer sa vie, tandis qu’inerte, les yeux clos, Adélaïde oubliait tout dans la douceur de cette étreinte.

Cependant il ne perdait pas de vue le danger auquel il fallait l’arracher.

— Je ne vous quitterai pas, Adé, je vous le jure. Je ferai ce que vous voudrez, ma chérie. Mais permettez-moi d’agir pour vous, nous ne pouvons rester ici.

Elle rouvrit les yeux. Le paysage lui apparut dans une explosion de lumière, puis aussitôt sembla s’évanouir dans son propre rayonnement. Elle eut l’impression que l’espace s’élargissait, se creusait démesurément autour d’elle et, prise de vertige, désira l’intimité des chambres closes. Son regard dilaté, incertain, où palpitait la peur, chercha celui de Michel.

— Oui, balbutia-t-elle, partons, ramenez-moi chez moi.