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l’abbaye d’évolayne

avait bien arraché sa paix, si violemment, avec une telle cruauté, comme on arrache au supplicié l’un de ses membres, d’un seul coup porté dans la chair vive que cet homme fort parut soudain faible entre les faibles, tandis qu’affluait dans ses yeux en pleurs tout le sang de l’âme mutilée.

La douleur n’épargne personne ici-bas. Son injustice apparente cache une impartialité profonde. Ses modes d’action sont seuls différents. Elle semble avoir ses privilégiés qu’elle s’ingénie à torturer lentement, durant des années, mais ceux qu’elle a feint d’oublier, elle les reprend un jour entre ses mains avec une fureur si grande qu’ils n’ont rien gagné à être longtemps épargnés. Tout ce qu’Adélaïde avait souffert depuis dix ans, Michel le souffrit à son tour en quelques minutes. Sur le calvaire qu’elle avait gravi pas à pas, il la rejoignit, la dépassa dans une course tragique pour atteindre, comme elle, le délaissement absolu et ce désespoir même auquel il n’avait pas cru. Il subit dans une brusque déflagration la transformation du malheur. Il cessa de sentir sur lui la bénédiction divine, de faire partie d’un monde où rien n’était irréparable, où chaque peine recevait une consolation. Mis en présence d’un irrémédiable désastre, il regardait avec angoisse la femme qu’il n’avait cru quitter que pour la rejoindre un jour et qu’il perdait à tout jamais par une double mort. Il n’avait point horreur de cette réprouvée, il l’aimait, il l’aimait. Il descendait avec elle dans l’ombre du mal, dans l’épaisseur du crime. Pourtant, ni la foi, ni le désir du salut ne pouvaient abandonner son cœur de prêtre. Une dernière lueur de raison lui indiquait dans son dé-