Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/253

Cette page a été validée par deux contributeurs.

IV

Elle entendit, elle reconnut ce pas qui s’approchait et pourtant ne tourna pas la tête. Ce n’était plus Michel qu’elle attendait, mais, dans le recul épouvanté de sa chair, une visiteuse imprudemment appelée et qui ne tarderait pas longtemps. Ce philtre amer qu’elle venait de boire faisait d’elle un être nouveau, indifférent à ce qui l’obsédait un instant plus tôt. Tous les tourments de la passion déçue, de l’abandon et de l’absence lui semblaient peu de chose à côté de ce dénuement où elle entrait. Les images qui avaient composé le décor de sa vie s’effaçaient déjà. Il n’y avait plus devant elle qu’un avenir de quelques heures et cet au-delà redoutable où son âme allait tomber. Qu’importait donc à présent pour elle la présence de Michel à ses côtés, qu’importait sa pitié ou sa tendresse. Il ne pouvait plus l’empêcher d’être seule.

Elle était toujours assise sur le banc, le corps un peu penché en avant, les yeux clos, avec ce goût du poison dans sa bouche. Ses deux mains étaient fermées sur un objet caché : le flacon vide. Michel en s’approchant remarqua qu’elle tremblait, de colère, sans doute. Il devinait combien elle s’était indignée de le voir consacrer à un autre le