Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
l’abbaye d’évolayne

défaillante. Michel tout à coup dit d’une voix mal assurée.

— Ne soyez plus si belle !

Pourquoi, certaine qu’elle lui appartenait toute, avait-il en la contemplant ce soir cette expression de regret, d’adieu ? Pourquoi leurs heures les plus douces leur semblaient-elles à tous deux si précaires ? Une douleur sourde, profonde, bien connue étreignit le cœur d’Adélaïde, elle s’efforça de rire :

— Suis-je si belle que ma vue vous soit insupportable ?

Par jeu, elle éleva entre ses bras tendus son écharpe de tulle noir devant son visage étincelant, pathétique et pâle. Elle se rapprocha, ainsi voilée, de Michel qui, se prêtant à son caprice, à travers le léger tissu, effleura d’un baiser sa belle bouche. Elle vit de très près, dans le regard bleu, des ondes d’émotion naître et s’atténuer. Ce baiser était doux, mais jamais ils n’en échangeraient d’exactement semblable. L’instant délicieux vacillait sur les cimes friables de la félicité, déjà tombait parmi les choses passées. Déjà se ternissait la couleur rose du couchant, déjà le cœur de Michel était moins troublé, déjà elle se sentait moins belle et moins aimée. Elle se détourna, aperçut des fleurs au bord du fossé et s’écria, joyeuse :

— Voici du mélilot.

Elle aimait cette plante modeste dont l’odeur fine est persistante. Elle en fit un bouquet tout en montant la route, qui, brusquement, tournant pour la dernière fois, déboucha devant l’abbaye.

Rien dans son architecture moderne, pâle copie du gothique, ne pouvait séduire un artiste. Elle devait sa beauté à sa situation solitaire. Un bois