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l’abbaye d’évolayne

ne se rejoindraient jamais. Elle se demanda si la musaraigne était morte à présent. Sa propre disparition aurait-elle sur la terre plus d’importance que l’extinction de cette petite vie ? Laisserait-elle une trace plus durable ? Elle ne le croyait pas. Son image serait vite effacée du cœur de Michel. Il la pleurerait quelque temps, puis saurait surmonter un regret inutile. Vivant, il avait une tâche à remplir au milieu des vivants et ce monde déchargé d’elle ne lui paraîtrait ni moins beau, ni moins divin.

La demie de onze heures sonnait à l’abbaye. Le temps passait qui semblait immobile et Michel tardait toujours et sa chance diminuait. Ce matin pas plus que la veille, il ne pourrait l’écouter jusqu’au bout. Il lui prodiguerait quelques paroles d’encouragement, la congédierait encore, en lui donnant un autre rendez-vous, aussi incertain que celui-ci. Mais s’il la trouvait avec la mort en elle, il n’oserait pas la quitter. L’assistance aux mourants est pour le prêtre un devoir plus fort que l’obéissance à la règle, et il oublierait tout pour elle.

Ainsi elle revenait toujours buter sur la même pensée avec acharnement. L’insomnie, l’épuisement nerveux où l’avaient jetée tant de combats secrets la disposaient à l’idée fixe. L’attente sapait, minait sans cesse le frêle rempart de courage, de raison, de lucidité où se retenait encore sa vie.

C’est à ce moment qu’elle entendit des pas, aperçut à sa droite un religieux. Il ne portait pas le scapulaire des pères. C’était un frère convers, celui qui recevait les visiteurs et auquel elle s’était