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l’abbaye d’évolayne

rien peut la briser. Un être endure très longtemps la faim, la soif, mais laissez-lui boire une goutte d’eau, manger une miette de pain et son tourment est aussitôt doublé par une satisfaction insuffisante. Adélaïde avait supporté des mois et des années d’absence, puis, la veille, retrouvé Michel pour le reperdre aussitôt. Au moment où elle croyait pouvoir se rassasier de sa présence, une privation nouvelle lui fut imposée. L’attente ainsi prolongée devint intolérable. Elle regagna le banc sous le chêne et de nouveau s’y assit. Le sentier privé, réservé aux moines, que descendaient le père Stéphane et son jeune compagnon, passait au-dessous d’elle. En se penchant elle aperçut à travers les arbres leurs deux silhouettes. Michel marchait lentement, incliné vers son ami. Il parlait avec une animation que trahissaient ses gestes. Adélaïde ne percevait point ses paroles, seulement quelques éclats de voix. Elle se sentit soudain plus loin de lui qu’autrefois derrière les grilles du cloître ou, plus récemment, dans l’exil. Elle s’arrêtait au seuil d’une vie mystérieuse qu’elle ne pouvait imaginer, dont les intérêts, les incidents, les personnages lui demeureraient désormais étrangers. Dans ce cœur qui lui avait appartenu elle n’occupait plus qu’une place très humble, la dernière. Oui, même à cette heure tant désirée par elle et que Michel devait lui consacrer, il la délaissait pour un passant, abrégeait volontairement l’entrevue précieuse. Bientôt le déjeuner des moines les interromprait comme, hier, le chapitre. Elle n’aurait pas le temps de s’expliquer. Et d’ailleurs toutes les paroles qu’elle avait préparées, éloquentes encore alors qu’elle les adressait à une