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l’abbaye d’évolayne

dations. Pour Adélaïde rien ne pressait. Elle était libre. Il aurait, aujourd’hui, demain, plus tard tout le loisir de la revoir. Mieux valait que leur entretien ce matin-là fût bref, puisqu’il n’avait rien de précis à lui dire. Tandis qu’elle accourait à sa rencontre, il marcha vers elle sans hâte. Elle sortait d’une longue attente, déprimée par une nuit mauvaise, par l’obsession d’une même pensée, lui, au contraire, levé depuis cinq heures du matin, distrait par mille devoirs, arrivait retrempé par l’action, aussi calme qu’elle était fiévreuse. Avant même qu’ils eussent échangé un mot, elle sentit à quel point ils restaient étrangers l’un à l’autre. La joie qu’elle avait éprouvée en le revoyant s’évanouit lorsqu’il lui dit, désignant son compagnon demeuré en arrière :

— Voulez-vous patienter un moment, Adé ? J’ai quelques mots encore à dire à ce jeune homme. Je le reconduis à la gare. Vous permettez ?

Elle ne cacha pas sa déception. Ses yeux devinrent humides, ses lèvres tremblèrent. Il vit que ses paupières étaient rouges, ses traits gonflés. Elle avait pleuré, elle allait pleurer encore. Elle ne pouvait donc rien supporter, pas même ce léger délai qu’il lui imposait. Malgré lui, il eut pitié de sa faiblesse, mais crut bon de n’en rien laisser paraître.

— Admirez encore quelque temps seule ce beau soleil, dit-il, affectant la gaieté. Quel jour magnifique ! Qui pourrait, devant cet azur et ce radieux paysage, douter de la bonté de Dieu. Sa bénédiction est sur tous.

Elle pensa : « Excepté sur la musaraigne qui meurt, sur moi qui souffre, sur tant d’êtres déshé-