Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/235

Cette page a été validée par deux contributeurs.
223
l’abbaye d’évolayne

se faisait moins aiguë et plus accablante. La nuit qui l’avait torturée la livrait à sa sœur l’aurore, monstre plus redoutable encore. La lumière grandissante posait partout les bornes d’un univers où elle n’avait aucune place. Les portes qui s’étaient ouvertes sur des possibilités multiples se fermaient une à une. Elle ne savait plus ce qu’elle dirait tout à l’heure à Michel. Il est facile de parler quand nul ne vous écoute, dans l’exaltation de l’ombre, dans la liberté de l’oubli. Certains mots, trop déchirants, ne peuvent résonner dans l’air extérieur. Le jour impose silence à l’âme et une dure contrainte au malheur. Elle ne définissait plus sa peine et ne sentait qu’un poids écrasant sur le cœur.

Un train s’arrêta devant la gare et repartit. Deux servantes sortirent de l’hôtel, s’approchèrent du puits. Elles parlaient très haut. L’une d’elles jeta un rire éclatant. Un passant apparut au tournant de la route. Il chantait. Rafraîchis par le sommeil, tous les êtres reprenaient dans la joie leur tâche quotidienne, alors qu’Adélaïde, écrasée sous la fatigue d’une longue veille, défaillait devant la journée commençante. La lumière trop crue la brûlait comme un fer rouge. Elle ferma la fenêtre, tira ses rideaux, s’étendit sur son lit, les yeux clos. Une faible clarté rose apparaissait encore en transparence derrière ses paupières. Elle enfouit son visage dans ses oreillers. Elle luttait encore contre des ennemis invisibles. Le père Abbé, le père Athanase, Michel parlaient confusément autour d’elle. Une étrange cérémonie commençait. Elle s’avançait dans le chœur de l’abbaye, vêtue et voilée de blanc. Michel était à ses côtés. Il tenait sa main dans la sienne. Il lui pas-