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l’abbaye d’évolayne

me retiendra sur la terre et ce Dieu auquel vous croyez vous demandera compte de mon âme.

Elle reposa le flacon sur la table. Elle était certaine d’avoir trouvé les paroles décisives qui lui assuraient la victoire. Alors même que le cœur de Michel resterait froid, sa conscience se troublerait devant la tragique imploration. Il n’oserait plus la leurrer avec des mots doux et vides, mais, bouleversé par une pitié enfin égale à son malheur, il lui ordonnerait de vivre et lui permettrait de l’aimer.

Le tintement d’une cloche interrompit ses divagations et ce drame qu’elle se jouait à elle-même. Au dehors une clarté plus nette, moins rayonnante, se substituait à celle de la lune effacée. Le monde frémissait vaguement, suspendu entre le rêve et la vie. Le soleil ne paraissait pas encore. L’oiseau n’était pas éveillé. Seule la cloche, animée, joyeuse, sonnait, brassait doucement le silence. Matines. La prière précédait l’action. Les moines entraient dans le chœur pour chanter les louanges de Dieu. Michel cessait d’être le fantôme docile qu’Adélaïde à son gré déplaçait à travers l’espace, qui s’asseyait à ses côtés, l’écoutait avec patience. Il redevenait un religieux lié par ses vœux, agenouillé dans les stalles parmi ses frères. Cependant elle se réjouit qu’il ne dormît plus. Son souvenir vivait dans cette âme maintenant lucide. Elle en espéra un soulagement.

De nouveau, elle s’était accoudée à sa fenêtre et regardait l’abbaye. L’air qu’échauffait tout à l’heure sa fièvre coulait à présent sur elle comme une eau glacée. Son corps frissonnait sous ses légers vêtements. Sa souffrance changeait de nature,