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l’abbaye d’évolayne

relent amer. Ce fut d’abord le cri sincère du moine : « Si quelque chose avait pu détruire ma paix, c’est la pensée que vous ne la partagiez pas… » L’aveu qui semblait tendre trahissait la plus complète indifférence. En réalité, l’absence d’Adélaïde n’avait été pour le prêtre comblé de grâces qu’une souffrance infime : la faible rançon d’une félicité inaltérable. Séparé d’elle, la sachant malheureuse et peut-être perdue, il s’était contenté de prier pour elle avec une application sereine, mais sa mort, sa damnation possible ne l’eussent pas empêché d’être en paix :

— Oh ! songeait-elle, ce n’est pas ainsi qu’on aime. Toutes les chaînes de la joie rivées au ciel à mon âme captive ne m’y retiendraient pas s’il n’était pas auprès de moi !

Mais cela, Michel ne pouvait le comprendre, ayant un cœur si détaché des affections terrestres. Le peu de tendresse qu’il conservait encore pour elle n’allait point sans un certain mépris. Elle se rappelait l’intonation condescendante de sa voix lorsqu’il s’était écrié : « Féminine, trop féminine, toute en contrastes et revirements, la première tentation vous a vaincue. » Il avait dit aussi : « Vous perdez votre vie ! » Accusation sévère, dont elle ne songeait pas cependant à se justifier, car l’action seule semble ici-bas nécessaire et ceux-là peuvent espérer le salut qui sont riches en bonnes œuvres, mais pour ces passionnés et pour ces in actifs qui ne savent qu’aimer et souffrir, l’enfer suffit qui leur est réservé.

Cependant Michel ne l’avait pas condamnée tout à fait. Il s’était engagé à l’aider, disant : « Mon double titre de prêtre et d’époux me confère envers