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l’abbaye d’évolayne

— On pourrait tout aussi bien l’appeler coïncidence ou hasard. Trois neuvaines, avez-vous dit ? Les deux premières furent stériles.

— Jésus repoussa d’abord la Chananéenne. Il aime éprouver notre foi, mais la prière persévérante obtient tout.

— Ah ! pour vous tout est miracle !

— Pour moi et pour qui sait voir. Ouvrez les yeux, Adé, la joie que vous cherchez est là, toute proche, et vous n’avez qu’à étendre la main.

— La joie, dit-elle, je l’ai connue autrefois près de vous et je la retrouverais encore peut-être si je pouvais vivre ici, vous voir chaque jour.

Il eut un léger mouvement d’effroi, dont, sur le moment, elle s’aperçut à peine.

— Je parle de la seule joie véritable, précisa-t-il fermement, celle que notre Maître réserve à ses élus.

Mais elle cessa brusquement de s’intéresser aux problèmes de son destin. L’entretien qu’ils eussent voulu si intime, si beau, dévia, parce qu’il n’est permis à personne de dire au moment opportun les paroles exactes et profondes qui éclairciraient les malentendus, remettraient toute chose à sa place. Elle ne pensait plus qu’à son amour et un petit détail absorba son attention.

— Je ne suis pas une élue, dit-elle rêveusement, et, à vrai dire, je suis contente de n’être plus pour vous une religieuse, parce que vous m’appelez Adé, comme autrefois. Moi je ne sais comment vous nommer : mon père ? cela serait bizarre et doux pourtant, car je vous ai toujours un peu considéré comme un père, un maître, un guide ; mais parce que, pour tout le monde, vous êtes maintenant « le père Stéphane », j’aime doublement le