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l’abbaye d’évolayne

— Vous perdez votre vie.

— Qu’importe ! s’écria-t-elle âprement, si vous gagnez la vôtre tout est bien !

Elle se reprocha, aussitôt cette parole méchante. À l’heure où, mûris par tant de douleurs, ils auraient dû n’avoir l’un pour l’autre qu’indulgence et pardon, la première, elle réengageait le combat qui perpétuellement divise ceux qui s’aiment, les change en ennemis. Michel, plus patient qu’elle, parce que moins tendre, laissa tomber la flèche dont elle l’avait blessé. Si attentivement qu’elle observât son visage, elle n’y vit paraître aucun signe de souffrance ou de dépit. Soit qu’il eût acquis la maîtrise parfaite à laquelle tendent tous les ascètes, soit qu’il fût devenu invulnérable, il demeura parfaitement calme. Un seul indice révéla que, peut-être, elle l’avait atteint au cœur : ce fut cette joie plus intense, cette flamme plus vive dans son regard, car toute humiliation est agréable aux saints. Après un silence, il reprit son interrogatoire.

— Vous ne saviez pas que j’avais écrit à Maurice ?

— Non, il était convenu qu’il ne me parlerait jamais de vous.

— Je préfère cela. J’ai cru un moment que vous lui aviez dicté sa dernière lettre, si affreuse, et qui m’a fait tant de mal.

— Que vous disait-il donc ?

— Il me reprochait de vous avoir sacrifiée, torturée, il ajoutait : « Contente-toi de savoir qu’Adé est vivante et laisse-la en paix. Puisque tu crois à l’utilité de la prière, implore au moins le ciel pour qu’elle t’oublie et qu’elle prenne un amant. C’est le mieux qui puisse arriver. »