Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/208

Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
l’abbaye d’évolayne

un trait du visage perdu : les yeux d’abord, si clairs, et les longs cils pressés, qui tombaient comme un voile de pluie légère sur les étendues du regard, le nez droit, un peu charnu avec, près de la narine, cette crispation légère qu’y formait toujours l’émotion, le menton, avec la fossette qui le séparait au milieu, la mâchoire un peu carrée, la bouche sinueuse, le sourire charmant. Il avait vieilli. Ses cheveux plus grisonnants découvraient très haut le front dégarni, marqué de rides plus nombreuses, mais l’ensemble de sa physionomie avait un aspect moins sévère, moins tendu. Elle l’aimait mieux ainsi encore que dans son souvenir, elle l’aimait toujours mieux tel qu’il était. Elle le trouvait changé sans pouvoir s’expliquer pourquoi et, sans doute, l’était-il moins par les années que par cette joie absolument anormale dans son regard, non point la joie inégale des ivresses terrestres, mais une sorte d’exultation continuelle, la même qui transfigurait le visage du plus humble des moines, le masque dur du père Athanase. Comme pour expliquer cette joie, qui cependant venait d’une autre source, il s’écria :

— Je suis heureux, Adé. C’est vous enfin, nous sommes réunis.

Elle répéta :

— Réunis !

Ce seul mot résumait pour elle toutes les félicités du ciel. Elle pliait en avant, les mains tendues vers lui. Elle songeait :

— Se peut-il que j’aie dormi dans ses bras ! Comme j’étais froide. Je supportais sa caresse, maintenant je mourrais s’il m’embrassait. Pourquoi ne m’a-t-il pas embrassée ? Se peut-il qu’il ne