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l’abbaye d’évolayne

tions un caractère d’intimité. Elle sentait qu’il s’intéressait à elle d’une façon toute particulière, qu’il s’était, le premier, inquiété d’elle le soir de l’orage et que tous les autres, sans lui, se fussent endormis tranquilles sans songer à la chercher. Maintenant il veillait sur elle avec une sollicitude constante. Était-elle en retard pour dîner, il l’attendait à la porte de l’hôtel, l’accueillait avec un soupir de soulagement. Quand il la voyait partir, il recommandait « ne vous perdez pas ! » Il l’avertissait dès que le temps semblait peu sûr. Il lui indiquait les plus belles promenades. Comme il connaissait très bien le pays, où il revenait depuis deux ans soigner une légère lésion pulmonaire, il lui proposa un jour de la conduire jusqu’à une forêt lointaine où elle n’était encore jamais allée. Il parut si malheureux, si terrifié en attendant sa réponse qu’elle n’eut pas le courage de refuser l’audacieuse proposition. Dès lors ils sortirent souvent ensemble.

Elle ne se trompait pas sur la nature des sentiments qu’elle inspirait mais n’en voulait pas voir les dangers. Après tant d’années d’humiliation, il lui était agréable d’exister à nouveau pour quelqu’un. Elle reprenait l’orgueil de sa beauté à la voir reflétée avec adoration par les yeux qui l’observaient et qui avaient un peu le regard de Michel. Les sursauts cachés de ce cœur vers elle communiquaient à sa vie une ardeur plus forte, doublaient la valeur des instants inutiles. Bernard lui plaisait par un abandon, une spontanéité bien rares chez les hommes. Il avait, bien qu’incroyant, une âme religieuse, moins occupée d’ailleurs à chercher la vérité qu’à creuser sa propre inquiétude.