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l’abbaye d’évolayne

vants, ni avertir celui qui était encore son mari.

Son mari ! Elle soupira et ses pleurs débordèrent. Habituée à souffrir par Michel, elle le rendait responsable de tous les maux qu’elle endurait. On eût dit qu’il l’avait livrée, en la chassant de son cœur, aux éléments déchaînés, à l’ombre inhumaine. C’est parce qu’il l’avait abandonnée qu’elle était pauvre, démunie, fugitive ici-bas et la plainte du roi Lear lui revint aux lèvres.

Ô détresse sans asile !

Et voici qu’elle entendit à travers le bruit du vent et le craquement des arbres une voix humaine qui hélait longuement dans le lointain. Sans doute un être très aimé s’était perdu que sa famille, ses amis cherchaient avec anxiété. Elle pouvait profiter d’une méprise qui lui permettrait de retrouver sa route, l’hôtel, un lit. Elle héla à son tour de toute sa force et fut entendue. La voix masculine jeta d’autres appels, puis se rapprocha, guidée par ses réponses. Bientôt elle distingua à travers les arbres le faible faisceau d’une lampe électrique qui oscillait, fouillait l’ombre. Soudain une question lui fut posée ;

— Où êtes-vous ?

En même temps, le rayon lumineux s’arrêta sur elle, l’éblouit, puis aussitôt l’étranger retourna sa lampe sur lui, sans doute pour qu’elle le vît bien et ne s’effrayât pas. Ainsi, le soir d’hiver où il l’avait conduite jusqu’au seuil de l’abbaye d’Helmancourt, Michel, avant de la quitter pour toujours, avait examiné dans la nuit son visage puis déplacé la clarté afin qu’elle contemplât le sien. Et Adélaïde, abusée par la similitude des deux scènes, crut reconnaître une sil-