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l’abbaye d’évolayne

ce constant combat de la vie traquée par la souffrance et la mort, est-ce donc un bien voulu, permis par Dieu ?

Elle s’aperçut bientôt que ce qui la séparait de la religion et l’empêchait d’être une bonne chrétienne, c’était son pessimisme. Tous les catholiques, tous les croyants partaient de ce principe que la vie, même malheureuse, même impuissante demeure le plus merveilleux des présents. Le cri de Lacordaire : Si je n’étais esprit, je voudrais être matière, proclamait ce culte passionné de l’existence sous n’importe quelle forme, dans n’importe quelle condition. De ce sentiment découlaient naturellement des adorations infinies pour le créateur, toutes les épreuves se réduisant à rien en regard de ce don précieux de l’être.

Adélaïde au contraire se sentait portée à considérer la vie comme un mal, la douleur comme une chose irréparable qu’aucun paradis ne compenserait jamais. Bien qu’elle fût éprise de toutes les beautés terrestres, elle eût préféré maintenant ne les point connaître et n’être jamais née. Elle ne goûtait plus de joie que dans le sommeil, quand la longue journée achevée, elle sentait peu à peu ses pensées s’alentir, s’embrouiller, cesser enfin, à l’instant où tout le char pesant de sa vie versait dans l’abîme de l’inconscience. Elle ne soupirait que vers le vide, l’oubli, le néant.

Tout en cherchant sans cesse une certitude, elle trouvait assez naturel que l’esprit de l’homme, faible et borné, ne pût saisir que quelques vérités relatives et dût s’en contenter. Une phrase de Platon qu’elle lut un jour fut un phare dans sa nuit : Parmi les raisonnements humains, il faut