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l’abbaye d’évolayne

et le père Stéphane — Adélaïde l’avait constaté, lors de leur dernière entrevue, — il n’y avait plus qu’une lointaine ressemblance. Cependant elle persistait à chérir cet être transformé. Comme elle eût aimé Michel mort ou défiguré, elle l’aimait moine, avec ce cœur nouveau qu’elle ne comprenait pas.

Or, si elle l’avait perdu ici-bas, il importait qu’elle ne le perdît pas pour l’éternité. Elle désirait lui demeurer unie spirituellement sur la terre, afin de mériter qu’il lui fût, au ciel, à jamais rendu. Son unique espoir était de parvenir à l’aimer en Dieu au point de l’oublier pour Dieu. Elle s’y était déjà efforcée vainement et, tout en croyant s’abîmer dans l’infini, n’avait su qu’adorer un être humain dans un culte idolâtre. Le mal venait sans doute de ce qu’elle avait suivi une voie qui ne lui convenait aucunement, tout en restant trop près de Michel. Maintenant qu’elle avait fui le cloître, que nulle lettre, nulle nouvelle, nul signe ne viendrait plus jamais exalter sa passion, peut-être, avec le temps, se résignerait-elle à l’absence. Alors elle pourrait retrouver le calme et, tout en restant libre, mener dans le monde l’existence d’une religieuse, se dévouer aux pauvres, aux malades.

Par malheur, en échappant à l’influence de son mari, elle se trouvait obligée de remettre en question tous les problèmes qu’il avait résolus pour elle. Il lui fallait les examiner à nouveau, faire une fois encore un choix difficile, savoir si la foi catholique était bien pour elle aussi la vérité, dégager du chaos où son âme se débattait sa croyance personnelle. Elle rassembla les livres qui pouvaient lui être utiles et partit au début de septembre