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l’abbaye d’évolayne

bras tendus. Puis, de nouveau, la nuit se refermait sur elle et la voix chère lui parvenait encore, la voix timbrée et douce qui se brisait un peu à la fin des phrases latines. Elle ne put chanter l’office avec ses sœurs. L’abbesse, prévoyant son trouble, l’en avait dispensée. Silencieuse, elle s’unissait à l’homme de Dieu, à la fois sacrificateur et sacrifié. Elle priait comme elle n’avait jamais prié : « Faites que je sois digne de lui, que je puisse me donner tout entière comme il s’est donné. »

Son âme s’échauffait lentement d’un feu dont elle ne distinguait pas la nature, mais qui la rassurait. Cette heure si rare ne pouvait rester stérile. Ses doutes allaient se dissiper. Elle attendait avec confiance la réponse de Dieu, la lumière.

Le moment de la communion était venu. Une à une les religieuses s’avancèrent vers la grille, se prosternèrent devant l’étroite ouverture derrière laquelle Michel les attendait, le ciboire à la main. À son tour Adélaïde s’agenouilla devant son mari. Peut-être ne reconnut-il pas cette ombre entre d’autres ombres dont la bouche seule était nue. Il ne laissa paraître aucune émotion. Sa voix ne trembla pas en répétant les paroles saintes : « Corpus Domini Jesus Christi… » Mais elle ne put dominer la tentation. Renversant la tête, elle regarda longuement à travers son voile le visage oublié dont l’expression en cet instant était si douce et recueillie. Déjà elle recevait l’hostie et la main consacrée effleura légèrement ses lèvres. Ses yeux se fermèrent, captant l’image vivante. Et jamais dans ses communions les plus ferventes elle n’avait ressenti émoi plus profond. L’hôte humain sou-