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I

Nul être ayant reçu le don précieux du bonheur, si attentivement qu’il veille sur ce trésor, n’aperçoit à quel moment il commence à le laisser fuir entre ses mains. Comme le jour se change en nuit, l’été en hiver, insensiblement la joie se change en peine, la plénitude en privation. Plus tard seulement, quand son malheur est chose accomplie, l’âme démunie, en se tournant vers son passé, y discerne les premières ombres qui s’étendirent sur sa destinée, l’heure qui marqua le début de sa ruine. Mais tout incident, tout événement, et le choix qu’on fait d’une direction ou d’une autre semblent toujours, dans le présent, dénués d’importance.

Le nom d’Évolayne, lorsque Adélaïde Adrian l’entendit prononcer au cours d’un voyage, ne lui inspira nulle appréhension. C’était le nom d’un pays étranger qu’elle désira connaître. Rien ne l’avertit qu’il fallait à tout prix l’éviter.

Elle avait obtenu, non sans peine, que son mari, cet été-là, prît de longues vacances. Surmené par une vie mondaine intense, autant que par sa profession de chirurgien, Michel Adrian accepta d’abandonner pour trois mois ses malades à un remplaçant et partit en auto avec Adélaïde, sans