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l’abbaye d’évolayne

tairement dans ses réponses l’accent mystique et, prompte à se croire toujours semblable à celui qu’elle aimait, n’exprimait que mépris pour les joies du monde, aspirations célestes.

Deux ans auparavant, elle avait prononcé ses grands vœux, le même jour que son mari. Son cœur était calme et plein de confiance alors qu’elle engageait sa vie pour toujours. Pourtant, lorsqu’elle s’examinait bien, elle voyait qu’à cette date s’arrêtaient ses progrès spirituels. Presque aussitôt, atteinte d’une pleurésie, elle avait, dans l’abattement de la maladie, puis dans l’oisiveté et la faiblesse de la convalescence perdu l’équilibre factice qu’elle croyait posséder. Guérie, mais plus débilitée encore moralement que physiquement, elle s’était retrouvée sur la terre, les ailes brisées, avec ce doute en elle, cette soif de bonheur, cette tristesse accablée, ce malaise qu’elle avait refusé si longtemps d’avouer aux autres et à elle-même. Alors qu’elle avait passé tant d’années à vider son cœur de toute image humaine, elle voyait partout, sur les parois du souvenir, reparaître le dessin mal effacé. Depuis que Michel avait cessé de lui écrire, il n’était plus pour elle le guide qui la soutenait et la précédait sur les chemins du sacrifice, mais le tentateur silencieux qui la tirait en arrière. Sachant que l’avenir ne le lui rendrait pas, elle le cherchait au fond de leur passé. Et l’idée lui vint que, seul, le sentiment du provisoire lui avait permis d’être heureuse au couvent, puisque, aussitôt établie dans le définitif, elle avait eu horreur de ces grilles, refermées à jamais sur elle. Elle crut comprendre soudain le problème qu’elle examinait vraiment aujourd’hui