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l’abbaye d’évolayne

apaisant d’un geste l’angoisse qu’elle avait éveillée.

La réponse en effet ne la surprenait pas. L’âme qu’elle venait d’examiner, au cours d’un long entretien, n’était coupable d’aucune faute assez grave ou assez singulière pour retenir l’attention d’un confesseur. Il fallait toute la connaissance que l’abbesse avait de ses filles pour discerner la gravité du mal qui s’y cachait. La langueur constante, le manque d’attrait sensible pour la prière et la communion dont se plaignait Adélaïde, ce regret du passé en elle, ces réclamations sourdes de la chair et du cœur, cette douleur acceptée, mais non dominée, ces doutes, n’avaient en eux-mêmes rien de particulièrement inquiétant. Maintes religieuses avaient traversé de semblables crises, qui s’étaient relevées plus fortes après leur défaillance. Elles avaient employé pour dépeindre leur état d’âme les mots mêmes dont leur sœur, plus atteinte, venait de se servir, car la parole humaine n’est pas assez riche pour exprimer les mille nuances des sentiments, des tentations, qui peuvent, au premier abord, paraître semblables. Mais l’abbesse, suppléant par l’intuition à l’insuffisance des réponses obtenues, écoutait surtout les résonances intérieures qui les accompagnaient et les complétaient. Cette femme dont le jugement était si clair, l’expérience si grande, hésitait à définir un cas déconcertant.

Elle s’étonnait d’avoir mis si longtemps à comprendre une de ses filles, celle-là même sur laquelle elle avait veillé avec le plus de sollicitude. C’était une recrue flatteuse, dont la générosité l’abusa et pour laquelle elle rêva la sainteté. Longtemps elle l’avait tenue, souple et docile entre