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l’abbaye d’évolayne

aujourd’hui une tentation contre laquelle il devait se défendre en la défendant elle-même.

— N’ayons pas trop de pitié l’un pour l’autre, dit-il doucement, le plus dur pour tous deux est d’accepter moi votre peine et vous la mienne.

Mais elle eût été heureuse de le voir souffrir comme elle souffrait alors que, visiblement, il redoutait moins de la perdre que de ne pouvoir la quitter. Elle tenta timidement de l’attendrir encore :

— Cela nous est-il demandé vraiment, Michel, je n’en suis plus si sûre.

Il la regarda avec quelque surprise :

— Et comment cette idée vous serait-elle venue, si Dieu ne vous l’avait inspirée ? À quels motifs humains auriez-vous obéi pour proposer la première un tel sacrifice ?

Elle ne trouva rien à répondre. Elle avait cruellement souffert en s’apercevant qu’elle n’était plus l’unique amour de Michel. Rien ne prouvait cependant qu’elle ne fût pas parvenue à le reconquérir si elle s’y était efforcée. Au lieu de défendre sa propre cause, elle s’était tout de suite avouée vaincue. Comment expliquer ce subit désespoir qui lui avait fait lâcher prise si vite, alors que rien n’était perdu ? Les âmes trop ardentes passent souvent d’un excès d’exigence à un excès de découragement. Elles ne peuvent supporter que la plénitude dans la joie ou dans la douleur, l’abondance ou la misère ; le médiocre leur fait horreur. Aussi, dès que leur bonheur décroît, les voit-on souvent s’acharner à le détruire complètement. Mais Adélaïde, tout en constatant sa propre extravagance, ne la comprenait pas.