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l’abbaye d’évolayne

Elle prononçait alors, héroïquement, les paroles dont il avait soif :

— Patience, Michel. Un jour vous irez vers cette foule qui vous réclame et qui a besoin de vous.

Plus que personne elle avait besoin de lui, mais il ne le savait pas. Homme, il était attiré par la masse plus que par l’individu, par le général plus que par le particulier. Il se donnait maintenant tout entier à ses frères en Jésus-Christ. Elle l’approuvait, ne se trouvait pas digne d’être son unique tendresse et son but unique.

Elle se sentait très seule. Trop absorbée par son amour, elle n’avait jamais eu le désir ni le temps de se créer des amitiés véritables. Son frère ne lui pardonnait pas sa conversion. Les relations nombreuses qu’elle avait eues jadis n’étaient point assez intimes pour que ceux qui ne la rencontraient plus dans le monde la cherchassent dans sa retraite volontaire. Les nouveaux convertis que Michel lui amenait la trouvaient froide, distante, incompréhensible et lui reprochaient en eux-mêmes de ne point porter sur son visage cette joie qui convient au chrétien. Elle n’avait plus avec son mari nulle expansion, nulle effusion du cœur. L’intimité des nuits ne les rapprochait plus et, dans le jour, ils se voyaient à peine. Michel, qui opérait ses malades de très bonne heure, assistait à la première messe. Il déjeunait fort tard, hâtivement. Ses consultations duraient tout l’après-midi et, le soir, la fatigue le terrassait vite. La femme qui vivait près de lui et qu’il croyait si bien connaître lui redevenait lentement étrangère. Il ne savait pas qu’elle souffrait, car elle ne se plaignait pas. Son âme, qui, cédant aux forces de l’amour,