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l’abbaye d’évolayne

trop sensible à la splendeur des images, le monde de l’invisible demeurait presque indéchiffrable. Michel lui en expliqua les beautés. Il l’éblouit des lumières qu’il recevait, lui communiqua ses ardeurs religieuses. Docile, elle se laissait détruire et recréer par lui.

Elle se confessait brièvement aux différents prêtres de sa paroisse dont aucun ne la connaissait, mais Michel était en réalité son véritable directeur. Pour le suivre, pour lui plaire, elle en vint à pratiquer la communion quotidienne. L’obligation du lever matinal supprima toute vie mondaine, toute sortie du soir. Elle n’avait d’autre distraction que ses lectures profanes. Michel lui en demanda le sacrifice. Dans son zèle de néophyte, il reniait en effet maintenant ce qu’il avait le mieux aimé. Les plus hauts chefs-d’œuvre inquiétaient son ombrageuse orthodoxie. Il comptait pour rien le génie, depuis qu’il avait découvert la sainteté. Adélaïde défendit les poètes qui restaient à ses yeux des êtres sacrés, inspirés de Dieu, quelles que fussent leurs doctrines.

— Ah ! ne les condamnez pas, ces enchanteurs, disait-elle. Je leur dois tout ce qu’avant ma conversion il y avait de bon et de noble en mon âme. C’est à cause d’eux que j’ai gardé, même sans religion, le goût du beau, de l’éternel.

— Moi aussi, peut-être, c’est vrai ! Leur tâche est de ne point laisser s’éteindre en nous la pure flamme de l’esprit. Mais leur parole, utile aux païens, aux athées, aux matérialistes, devient vite pour le chrétien stérile, puis nuisible. En dehors des poètes qui se sont soumis à l’autorité de l’Église, les autres sombrent fatalement en d’étranges ido-