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l’abbaye d’évolayne

il pas un sourd et violent travail de la grâce ? À vrai dire la certitude seule de n’être plus aimée, ravageant son âme, en avait fait cette terre stérile où ne poussait nulle fleur, mais elle ne le comprit pas. Elle crut que Dieu, répondant à son appel, lui vidait le cœur pour l’occuper.

Un soir, comme elle s’était mise au lit de bonne heure et que Michel lisait auprès d’elle, elle demanda soudain, rêveusement :

— Dom Athanase vous a-t-il parlé de ces époux qui se sont séparés d’un commun accord pour se donner à Dieu ?

La question intéressa Michel. Il ferma son livre avec empressement.

— Oui, dit-il, je connais bien cette admirable histoire. Ils furent convertis par un frère du père, un dominicain, au cours d’une retraite qu’il prêchait à Paris. Par quel miracle ces deux incroyants qui n’allaient jamais à l’église s’y laissèrent-ils entraîner par un ami pieux, un soir de carême ? La douleur avait préparé les voies. Ils venaient de perdre une petite fille, leur unique enfant, et ne pouvaient s’en consoler. Le prédicateur commentait justement la parabole de la fille de Jaïre et les paroles du Christ : « L’enfant n’est pas morte, elle repose ! » Ils écoutèrent. Ils furent touchés. La reprise des pratiques religieuses ne put leur suffire. Chacun voulut sacrifier sa vie entière et celle de l’autre.

— C’est beau ! murmura Adélaïde, mais vous l’avez dit : la douleur avait préparé les voies en les détachant de tout. Ils offraient un cœur brisé…

Elle réfléchit un peu et ajouta d’une voix à la fois timide et fervente :