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l’abbaye d’évolayne

les moindres rites, une illusion bienheureuse s’était imposée à lui. S’identifiant aux nouveaux ordonnés, il avait prié, tremblé, triomphé avec eux. Maintenant il se croyait prêtre, il prenait pour lui ce chant de l’amitié. Son visage s’était détendu, ses yeux exprimaient le ravissement de la délivrance.

Cependant quelque chose l’avertit bientôt qu’il était observé. Son regard quitta l’autel, erra incertain, ébloui, puis rencontra celui d’Adélaïde. Alors, lentement, le rêve qu’il venait de vivre se dissipa. Il reprit conscience de la réalité. Il n’était pas un prêtre, un élu comblé des faveurs de Dieu, mais un homme démuni qui, jadis libre de convoiter tous les trésors d’une vie angélique, avait choisi, préféré cette femme. Elle était bien à lui, pour toujours. Il ne possédait rien qu’elle : cette épouse si belle et imparfaite, cette créature de néant au lieu de l’être infini. Et tous deux se considéraient avec la même amertume et la même douleur. Tous deux s’accusaient en silence :

— Tu m’as trompé, disait Michel, car tu n’étais pas le bonheur.

— J’eusse été le bonheur si tu m’avais aimée, disait Adélaïde. La femme n’existe que par l’amour et ta trahison m’a détruite.

La cérémonie terminée, ils sortirent ensemble, si troublés qu’ils n’échangèrent aucune parole. D’un commun accord ils s’engagèrent dans les bois qui environnaient l’abbaye. Le banc situé sous le chêne invitait au repos. Ils s’y arrêtèrent. Le silence était profond. Derrière le grillage léger et frémissant des feuilles, la vallée, gouffre de lumière, éblouissait, Adélaïde, les yeux mi-clos, s’ap-