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l’abbaye d’évolayne

présentaient la clôture spirituelle qui, mieux que les murs et les grilles du monastère, les séparait déjà du monde, et le poids formidable du sacerdoce, sa sagesse, son ombre, sa vieillesse prématurée pesaient sur ces jeunes élus dont l’évêque allait faire des prêtres pour l’éternité.

Ce fut à ce moment qu’Adélaïde, bouleversée par la majesté du spectacle, chercha son mari parmi les assistants, pour lui communiquer d’un regard ses impressions. Dans les cérémonies solennelles, les hommes, séparés des femmes, occupaient le côté droit de la nef. Michel se tenait un peu derrière elle, debout à l’entrée d’un rang. En se retournant, elle le vit presque de face, en pleine lumière. Lui ne la cherchait pas, il ne pensait pas à elle. Il contemplait au loin le chœur, la foule des moines figée dans une attitude hiératique. Un pli profond crispait sa narine et sa bouche qui tremblait légèrement. Le regard fixe, d’une extraordinaire intensité, avait l’éloquence d’un cri. L’âme prisonnière jetait à travers ce regard vers l’interdit et vers l’inaccessible une réclamation désespérée. Et ce visage surpris en pleine émotion exprimait un tel regret, un tel désir qu’Adélaïde mesura soudain le désastre total de leurs deux vies. Le bonheur de Michel était à l’autel, il le savait, et il savait aussi que son rêve resterait stérile. Il enviait amèrement ses frères privilégiés qu’accueillait aujourd’hui l’Église, il souffrait de ne pouvoir les suivre. Devant sa douleur évidente Adélaïde oublia la sienne. Elle était tombée à genoux et elle priait en sanglotant :

— Seigneur, disait-elle, si lorsque j’appartenais encore à un monde sans lois, je l’avais vu lui, mon