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Du Parnasse françois et boire de son eau ;
Que, froidement reçeu, on l’escoute à grand peine[1] ;
Que la muse en groignant luy deffend sa fontaine,
Et, se bouchant l’oreille au récit de ses vers,
Tourne les yeux à gauche et les lit de travers ;
Et, pour fruit de sa peine aux grands vens dispersée,
Tous ses papiers servir à la chaise percée[2] ?
Mais comme eux je suis poëte, et sans discrétion
Je deviens importun avec présomption.
Il faut que la raison retienne le caprice,
Et que mon vers ne soit qu’ainsi qu’un exercice
Qui par le jugement doit estre limité,
Selon que le requiert ou l’âge ou la santé.
Je ne sçay quel démon m’a fait devenir poète :
Je n’ay, comme ce Grec, des dieux grand interprète,
Dormy sur Helicon[3], où ces doctes mignons
Naissent en une nuict, comme les champignons.
Si ce n’est que ces jours, allant à l’adventure,
Resvant comme un oyson allant à la pasture,
À Vanves j’arrivay, où, suivant maint discours,
On me fit au jardin faire cinq ou six tours ;
Et comme un conclaviste entre dans le conclave,

    maison étoit ouverte aux gens de lettres et aux poètes célèbres.

  1. L’hiatus qui se trouve à la césure de ce vers pouvoit se sauver facilement en mettant que receu froidement ; mais, du temps de Régnier, la rencontre de deux voyelles dans les vers n’étoit pas regardée comme un défaut.
  2. N’est-ce point là l’original du vers de Molière ?
    Franchement il est bon à mettre au cabinet.
    Misanthrope, act. I, sc. ii.
  3. Hésiode, s’étant endormi sur le mont Hélicon après avoir bu de l’eau d’Hippocrène, devint poète par une faveur singulière des muses.