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C’est pourquoy, sans me plaindre en ma desconvenuë,
Le malheur qui me suit ma foy ne diminuë ;
Et rebuté du sort, je m’asservy pourtant,
Et sans estre avancé je demeure contant :
Sçachant bien que fortune est ainsi qu’une louve,
Qui sans choix s’abandonne au plus laid qu’elle trouve ;
Qui releve un pédant de nouveau baptisé[1],
Et qui par ses larcins se rend authorisé ;
Qui le vice annoblit, et qui, tout au contraire,
Ravalant la vertu, la confine en misere.
Et puis je m’iray plaindre apres ces gens icy ?
Non, l’exemple du temps n’augmente mon soucy.
Et bien qu’elle ne m’ait sa faveur départie,
Je n’entend, quand à moy, de la prendre à partie,
Puis que, selon mon goust, son infidélité
Ne donne et n’oste rien à la félicité.
Mais que veux-tu qu’on face en ceste humeur austere ?
Il m’est, comme aux putains, mal-aisé de me taire ;
Il m’en faut discourir de tort et de travers.
Puis souvent la colère engendre de bons vers[2].
Mais, comte, que sçait-on ? elle est peut-être sage,
Voire, avecque raison, inconstante et volage ;
Et déesse avisée aux biens qu’elle départ,

  1. De nouveau baptisé.] Parvenu à quelque dignité. Boileau a dit de même dans sa première satire :
    Et que le sort burlesque, en ce siècle de fer,
    D’un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair.
  2. Puis souvent la colère engendre de bons vers.]
    Et sans aller rêver dans le sacré vallon,
    La colère suffit, et vaut un Apollon.
    Boileau, sat. I.

    Régnier et Boileau ont imité ce vers fameux de Juvénal, satire I, vers 79.
    Si natura negat, facit indignatio versum.