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Histoire de la satire


que Malherbe : son style n’est pas aussi pur ; mais comme sa poésie est moins élevée, et qu’il s’est par cela même donné plus de libertés, le langage dont il s’esl servi, et la nature des sujets qu’il a traités, donnent lieu a des remarques grammaticales et à des observations de mœurs qui ne peuvent manquer d’avoir un | grand intérêt. C’est, dit Boileau (réflexion V sur Longin), le poëte François qui, du consentement de tout le monde, a le mieux connu avant Molière les mœurs el le caractère des hommes ; et a ce titre seul il eût diî échapper à l’oubli dans lequel il est tombé.

L’immense supériorité qu’il s’est acquise par son talent dans le genre de la satire, en s’élevant tout à coup au-dessus de ses devanciers et contemporains, m’impose le devoir de les faire connoître a mes lecteurs ou de les rappeler à leur mémoire. La comparaison que l’on aurj la facilité d’établir entre leurs ouvrages et ceux de Régnier ne peut qu’ajouter a la gloire de cet auteur.

Satira tota nostra est, dit Quintilien ; et indépendamment de l’autorité que les vastes connoissances du rhéteur latin doivent donner a son assertion, il écrivoit dans un temps où l'on étoit en état de résoudre cette question mieux qu’aujourd’hui. Les Grecs cependant connoissoient la satire, au moins dans son but, si ce n’est dans la forme prescrite par les Latins, et que nous lui avons conservée. Les fables d’Esope sont peut-

Régnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles.
Heureux si ses discours, craints du chaste lecteur,
Ne se sentoient des lieux où fréquentoit l’auteur ;
Et si du son hardi de ses rimes cyniques,
Il n’alarmoit souvent les oreilles pudiques.