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SATYRE IV.

Si quelqu'un les regarde , et ne leur sert d'obstacle , Estime, mon amy, que c'est un grand miracle. L'on a beau faire bien , et semer ses escrits De civette , bainjoin , de musc , et d'ambre gris : Qu'ils soyent pleins , relevez , et graves à l'oreille , Qu'ils fassent sourciller les doctes de merveilles ; Ne pense, pour cela, estre estimé moins fol, Et sans argent contant, qu'on te preste un licol ; Ny qu'on n'estime plus (humeur extravagante !) Un gros asne pourveu de mille escus de rente. Ce mal-heur est venu de quelques jeunes veaux , Qui mettent à l'encan Fhonneur dans les bordeaux ; Et ravalant Phœbus , les muses , et la grâce , Font un bouchon à vin du laurier de Parnasse ; A qui le mal de teste est commun et fatal , Et vont bizarrement en poste en Thospital : Disant , s'on n'est hargneux , et d'humem* difficile , Que l'on est mesprisé de la troupe civile ; Que pour estre bon poète , il faut tenir des fous ; Et désirent en eux , ce qu'on mesprisé en tous. Et puis en leur chanson , sottement importune , Ils accusent les grands , le ciel et la fortune , Qui fustez ^^ de leurs vers en sont si rebattus , Qu'ils ont tiré cet art du nombre des vertus ; Tiennent à mal d'esprit leurs chansons indiscrettes , Et les mettent au rang des plus vaines sornettes. Encore quelques grands , afin de faire voir , De Mœcene rivaux , qu'ils ayment le sçavoir , Nous voyent de bon œil, et tenant une gaule ^^,

  • ^ Fustez..,] Fournis de leurs vers. Fust, du latin fustis y

bâton, s'est pris généralement pour arme; et fûter^ pour armer y garnir^ équiper.

'* Lenglet Dufresnoy reproche à Régnier de s'être servi