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POÉSIES DE RÉGNIER.

Changement bien estrange en une amour si belle ! 25
Moy, qui rangeois au joug la terre universelle,
Dont le nom glorieux, aux astres eslevé,
Dans le cœur des mortels par vertu s’est gravé ;
Qui fis de ma valeur le hazard tributaire ;
A qui rien, fors l’Amour, ne put estre contraire ; 50
Qui commande partout, indomptable en pouvoir ;
Qui sçay donner des loix, et non les recevoir :
Je me vois prisonnier aux fers d’un jeune maistre,
Où je languis esclave, et fais gloire de l’estre ;
Et sont à le servir tous mes vœux obligez. 55
Mes palmes, mes lauriers en myrthes sont changez,
Qui, servant de trophée aux beautez que j’adore,
Font, en si beau subject, que ma perte m’honore 1.
Vous qui dès le berceau de bon œil me voyez,
Qui du troisième ciel mes destins envoyez 2, 40
Belle et saincte planète, astre de ma naissance,
Mon bonheur plus parfait, mon heureuse influence,
Dont la douceur préside aux douces passions,
Vénus, prenez pitié de mes affections ;
Soyez-moi favorable, et faites à ceste heure, 45
Plustost que descouvrir mon amour, que je meure ;
Et que ma fin tesmoigne, en mon tourment secret,
Qu’il ne vescut jamais un amant si discret ;
Et qu’amoureux constant, en un si beau martyre,
Mon trespas seulement mon amour puisse dire. 50
Ha ! que la passion me fait bien discourir !
Non, non, un mal qui plaist ne fait jamais mourir.
Dieux ! que puis-je donc faire au mal qui me tourmente ?
La patience est foible, et l’amour violente ;
Et me voulant contraindre en si grande rigueur, 55
Ma plainte se desrobe, et m’eschappedu cœur.

Ma perte, ma défaite.

L’auteur apostrophe Vénus, qui est la troisième des planètes.