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M’apprenoit des secrets et m’eschauffant le sein,
De gloire et de renom relevoit mon dessein.
Inutile science, ingrate et mesprisée,
Qui sert de fable au peuple, et aux grands de risée !
Encor’ seroit-ce peu, si, sans estre avancé,
L’on avoit en cet art son âge despensé,
Après un vain honneur que le temps nous refuse ;
Si moins qu’une putain l’on estimoit la muse.
Eusses-tu plus de feu, plus de soin, et plus d’art,
Que Jodelle n’eu oncq’, des-Portes, ny Ronsard,
L’on te fera la mouë, et pour fruict de ta peine,
Ce n’est, ce dira-t’on, qu’un poëte à la douzaine.
Car on n’a plus le goust comme on l’eut autrefois.
Apollon est gesné par de sauvages loix
Qui retiennent souz l’art sa nature offusquée,
Et de mainte figure est sa beauté masquée.
Si pour sçavoir former quatre vers empoullez,
Faire tonner des mots mal joincts et mal collez,
Amy, l’on estoit poëte, on verroit (cas estranges !)
Les poëtes plus espois que mouches en vendanges.
Or que dès ta jeunesse Apollon t’ait appris,
Que Calliope mesme ait tracé tes escrits,
Que le neveu d’Atlas les ait mis sur la lyre,
Qu’en l’antre Thespéan on ait daigné les lire ;
Qu’ils tiennent du sçavoir de l’antique leçon,
Et qu’ils soient imprimez des mains de Patissson ;
Si quelqu’un les regarde, et ne leur sert d’obstacle,
Estime, mon amy, que c’est un grand miracle.