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ÉPISODES


C’est là que je dormis, ivre du sang des treilles,
Ayant cueilli les fruits gardés en les vergers
Par les dragons qui vomissent des vols d’abeilles,
Ô toi qui vins pour faire honneur aux étrangers
Quêteurs de la Fortune heureuse et des merveilles ;

De la montagne nue aux plaines où fleurit
Un éternel avril en fragrances de roses,
De l’aurore jusques en l’ombre qui sourit
J’ai suivi le chemin de ton pied que tu poses
Sur le gazon joyeux d’être par toi meurtri ;

Et je te vis venir des neiges virginales
Par qui la cime ardue éblouit le ciel clair,
Rieuse, et qui portais à la main des pétales
De fleurs que tu mordis en regardant la mer,
Où les galères s’ancraient dans les flots étales ;

Je fus l’hôte de tes royaumes interdits ;
Et j’ai dit, à l’éveil, aux hommes d’un autre âge,
Ce chant de siècle mort et d’âme de jadis
Afin qu’il s’enroulât en guirlandes d’hommage
À ta mémoire jusques en les temps maudits.