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mes livres : des romans historiques et différents manuels à l’usage des mousmés, surtout ceux qui traitent de l’art de marier les fleurs entre elles et de les disposer dans des vases. Des vases avec des fleurs, j’en ai mis partout ; je suis assez satisfaite de mon ouvrage. Et puis j’ai placé sur son socle, dans le takonoma, entre deux lanternes de bronze, Benten, une statuette en bois doré, chère relique qui me vient de mes grands parents. C’est la bonne déesse de la mer, protectrice des amoureux ; elle est bien à sa place ici et m’est plus précieuse encore aujourd’hui. Je la prierai sans cesse pour qu’elle me protège et m’inspire. Dans la pièce à côté, des coffres laqués où sont mes robes ; j’en ai douze, autant qu’il y a d’heures dans le jour ; ce n’est pas beaucoup pour la joie des yeux de celui qu’on aime… Nous étions plus riches autrefois. Après la révolution, mon père qui était un haut Samouraï, dut quitter le service de son seigneur le prince de Satzouma ; une mélancolie mystérieuse s’empara de son esprit ; il ne s’occupa plus du tout de sa maison, qui périclita, et bientôt il mourut, rongé par le chagrin de voir des étrangers s’emparer de tout le pays.

Quelle opinion aurait-il de moi en cet instant ? Je tremble un peu en me le demandant… Mais non, les femmes n’ont pas à compter avec la politique ; le cœur doit être tout pour elles.

Sous des dehors durs et hautains, mon père cachait une immense bonté. Il comprendrait ; il me pardonnerait. Ma mère était guécha à Kioto quand il s’éprit d’elle. Rien ne put vaincre leur amour ; on en fit