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maison qu’il a choisie, là-haut, sur la colline, auprès du cimetière. Une partie de mon petit bagage y est déjà ; j’ai accompli mes dévotions à Benten et nous sommes en règle avec ces messieurs de la police.

Il fait un beau temps clair ce matin. C’est toujours le printemps, puisque l’ototoguis, l’oiseau d’avril, n’est pas encore parti, et je suis heureuse de vivre ; mais il ne faut pas trop le laisser paraître.

Trois jours se sont écoulés depuis cette soirée mémorable ; commencée au coucher du soleil, elle ne s’est terminée qu’à dix heures du soir ; c’est qu’il a fallu du temps à Kan-Kou-rô, pour rompre avec Mademoiselle O-Sen, plus que pour nous unir, Pierre et moi.

Cachée derrière les autres, j’avais ma robe bleue, couleur de nuit, parsemée de fleurs de roseaux ; deux épingles très simples dans les cheveux. J’étais venue pour voir et il me serait bien difficile de dire ce qui s’est passé, jusqu’au moment où, défaillante, et me disposant à sortir, je sentis quelqu’un me saisir le poignet un peu vivement. Je me trouvai amenée devant Lui, toute droite, et le sang, qui s’était arrêté dans mes veines, affluant au cœur, je crus que j’allais tomber ; mais Il me prit la main, l’homme qui était à côté de lui — je le reconnus pour être celui du chemin creux — en fit autant, et je compris qu’il m’adressait un compliment en me montrant son ami. On me fit une question, je dus répondre oui… Sans la demi violence que m’a faite Kan-Kou-rô, en m’amenant devant Lui, rien de tout cela n’aurait eu lieu sans doute. Ce Kan-Kou-rô, si laid, est-ce que je