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paient d’une façon désordonnée sur la route que suivait Oyouki pour venir à notre rendez-vous. Très effrayée à la vue de ces hommes, elle s’était jetée de côté précipitamment afin de les éviter et, embarrassée dans sa robe, elle avait roulé au fond du fossé ; les étranges cavaliers étaient bien loin quand Oyouki décoiffée, les mains ensanglantées, se relevait et sans plus de mal revenait sur ses pas.

Il n’y paraît plus maintenant, et nous voilà bien tranquilles accroupies sur le balcon d’où l’on a une vue admirable de la mer, en partie masquée par les vieux arbres aux branches tordues.

Nous causons. Pour consoler Oyouki de sa mésaventure, je lui raconte la fête dont elle a été privée, et, prenant mon samisen, j’essaye de me souvenir des chansons qu’elle n’a pas entendues. La fameuse artiste, que nos amis avaient amenée au Jardin des Fleurs, en savait de fort jolies. D’ordinaire il me suffit d’entendre un air une fois pour le retenir ; aujourd’hui la mémoire me manque. Mon âme errante est ailleurs. Là-bas, dans la baie, au-dessus d’une masse noire immobile, flotte un pavillon tricolore.

Pour ne pas rappeler à Oyouki son accident de la journée, et cédant à je ne sais quel sentiment indéfinissable, je ne lui dis rien du bel officier de marine à peine entrevu. On l’avait installé dans la pièce voisine de celle où nous faisions de la musique. Vêtu de toile blanche, avec deux galons d’or à sa coiffure, blanche aussi, qui faisait valoir son teint mat et ses cheveux bruns, il paraissait un peu agité — tous ces étrangers sont ainsi — il avait pourtant, celui-