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d’entre nous est bien sûr de pénétrer pleinement sa pensée intime, dans cette phrase extraite d’une description de Tokio : « La ville occupe une sorte de vaste plaine ondulée ; ses quelques collines, trop petites pour y faire un bon effet quelconque, sont juste suffisantes pour y mettre du désordre ».

Et nous aussi, en fermant les yeux, nous retrouvons sous le portique écarlate du iaski de la mission militaire française, nous voyons se dérouler à nos pieds un panorama superbe. C’est le château impérial, le Siro ; ses hautes murailles plongent dans un fossé profond plein de lotus roses, et son immense parc aux frondaisons antiques, va rejoindre, à l’horizon, la mer d’un bleu éteint, perdue dans la brume argentée.

Puis voici des quartiers entiers, le réseau compliqué des canaux aux ponts recourbés et, partout va, vient, se presse, s’amasse une foule alerte et bigarrée ; enfin, plus loin encore, c’est, dans un coin verdoyant de banlieue, une maisonnette chère entre toutes, car c’est là que vivait Kiosaï, le grand artiste qui fut notre ami…

L’incompréhension, les erreurs de détail, les illusions d’optique qui font voir noir ce qui est bleu, tout cela ne serait rien et l’on pourrait encore s’entendre ; on passerait même condamnation sur une exclamation de cette force : « Comme je comprends de plus en plus cette horreur du Japonais chez les Européens qui les ont longtemps pratiqués en plein Japon ! » qui n’est autre chose qu’une contre-vérité manifeste.[1]

  1. Le Japonais de l’intérieur montre beaucoup d’égards pour le voyageur européen : c’est encore pour lui un objet d’intérêt qui éveille dans son esprit simple une sympathie faite de curiosité et de bonhomie. On retrouve là un peu de ces mœurs patriarcales, de cette hospitalité traditionnelle des peuples antiques. Depuis la petite servante d’auberge avenante et souriante toujours, dans son charme