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ARI

mour-propre était alors en usage chez le beau sexe. Obligée enfin de s’expliquer, elle répondit qu’elle ne pouvait ajouter foi à des aveux si extraordinaires sans des preuves bien convaincantes. Toutes celles qu’il était possible d’exiger lui furent offertes. « Eh bien, reprit-elle, après cela, il faut satisfaire un caprice. Toute femme a le sien : celui d’Omphale était de faire filer un héros, et le mien est de chevaucher sur le dos d’un philosophe. Cette condition vous paraîtra peut-être une folie ; mais la folie est à mes yeux la meilleure preuve d’amour. » Il fut fait comme elle le désirait. Qu’y a-t-il en cela d’étonnant ? Le dieu malin qui change un âne en danseur, comme dit le proverbe, peut également changer un philosophe en quadrupède. Voilà notre vieux barbon sellé, bridé, et l’aimable jouvencelle à califourchon sur son dos. Elle le fait trotter de côté et d’autre, et pendant qu’il s’essouffle à trotter, elle chante joyeusement un lai d’amour approprié à la circonstance. Enfin, quand il est bien fatigué, elle le presse encore et le conduit… devinez où ? — elle le conduit vers Alexandre, caché sous un berceau de verdure d’où il examinait cette scène réjouissante. Peignez-vous, si vous le pouvez, la confusion d’Aristote, lorsque le monarque, riant aux éclats, l’apostropha de cette manière : « Ô maître ! est-ce bien vous que je vois dans ce grotesque équipage ? Vous avez donc oublié la morale que vous m’avez faite, et maintenant c’est vous qu’il faut mener paitre. » La raillerie semblait sans réplique ; mais l’homme habile a réponse à tout. — « Oui, c’est moi, j’en conviens, répondit le philosophe en se redressant. Que l’état où vous me voyez serve à vous mettre en garde contre l’amour. De quels dangers ne menace-t-il pas votre jeunesse, lorsqu’il a pu réduire un vieillard si renommé par sa sagesse à un tel excès de folie ? »

Cette seconde leçon était meilleure que la première. Alexandre parut l’approuver, et il promit de la méditer auprès de la jeune Indienne. C’était là qu’on lui reprochait d’avoir perdu sa raison, c’était là qu’il devait la retrouver. Il y réussit, mais ce fut, dit-on, par l’effet du temps, plutôt que par celui de la