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ROU

que je les ai reproduites, car rien ne démontre qu’aucune d’elles soit conforme à l’exacte vérité. Maintenant voici la mienne, que je crois fondée sur des faits incontestables.

Longtemps avant l’introduction de roué, on se servait proverbialement de l’expression bon rompu, qui figure dans plusieurs passages de nos anciens écrivains, notamment dans cette phrase de Brantôme : « Ce bon rompu de Louis XI aima toutes les femmes. » Et par cette expression, qui ne fesait nullement allusion à un supplicié, on entendait un bon compagnon, un bon vivant, un bon vaurien, suivant l’interprétation de Cotgrave dans son dictionnaire français-anglais, imprimé à Paris sous le règne de Louis XIII. Quelquefois, au lieu de dire un bon rompu, on disait sans correctif un rompu : ainsi s’exprimaient et s’expriment encore les Provençaux et les Languedociens, en parlant d’un mauvais sujet rompu à toutes sortes de malices et de ruses. Or rien n’était plus naturel que de transporter cette signification figurée de rompu à roué, puisque les deux mots étaient synonymes au propre, et c’est là précisément ce qui eut lieu à l’époque de la régence, où roué fut admis comme variante de rompu, qui déjà était presque tombé en désuétude. Le nouveau mot ne devait pas inspirer beaucoup de répugnance dans ce temps d’immoralité où les scandales se donnaient par respect humain ; d’ailleurs, ce que son acception primitive pouvait avoir de révoltant était alors dissimulé en grande partie par d’autres acceptions que l’usage lui avait attribuées. Au siècle de Louis XIV, siècle du bon goût et des convenances, on l’avait employé métaphoriquement sans y attacher aucune idée choquante, pour désigner une personne tourmentée par une extrême souffrance. On en trouve la preuve dans une lettre de madame de Sévigné, où la duchesse de Fontange, malade et accablée de douleur de n’être plus maîtresse en titre, du roi, est appelée une espèce de rouée. Cette remarque ne paraîtra pas, je l’espère, sans quelque intérêt moral, puisqu’elle tend à prouver ce que peut souvent l’habitude du mot pour sauver l’odieux de la chose.

Il n’est donc pas étonnant que les brillants séducteurs de la