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BAR

peine la plus terrible que Dagobert put infliger à Sadragrésil, duc d’Aquitaine, après l’avoir fait fustiger, fut de ne pas lui laisser un poil au menton.

Il existait alors une indissoluble union entre le diadème et la barbe, et l’on sait que la première formalité pour opérer la déchéance des rois consistait à leur raser la tête et le visage. Charlemagne eut grand soin d’ordonner, dans ses Capitulaires, qu’aucun de ses descendants ne fut exposé à cet outrage régicide, et certes une telle précaution était très digne du grand homme qui fesait trembler tout l’Occident devant sa barbe, surtout lorsqu’il jurait par sa barbe et par saint Denis. Les paladins qui, sous son règne, se signalèrent par tant d’exploits, attachaient la plus grande gloire à conserver intact le poil de leur menton, et à couper celui des mentons de leurs adversaires. Un de ces paladins portait sur ses épaules, comme un trophée, un manteau tissu de ce poil moissonné par son glaive ; un autre couchait sur un lit d’honneur dont les matelas en étaient garnis, et cela était mille fois plus beau que de reposer sur des lauriers. Mais on doutera peut-être de la vérité de ces deux traits, parce qu’ils ne sont consignés que dans des livres de chevalerie. Et quand même ils auraient été imaginés à plaisir, ce que je suis bien loin de penser, ils serviraient du moins à prouver de quelle haute considération la barbe jouissait en ces temps héroïques. Ses honneurs et ses prérogatives se maintinrent jusqu’au douzième siècle. Il faut dire pourtant que, dans cet intervalle, la manière de la porter subit diverses modifications. Tantôt on la façonna en triangle, tantôt en losange et tantôt en trapèze, selon les lois de la plus exacte géométrie ; quelquefois on l’arrangea de telle sorte que la face humaine eut l’apparence de celle d’un bouc. On lui donna aussi la forme d’un hérisson : dans ce dernier cas, elle était confondue avec les moustaches et taillée pour faire une bordure circulaire à la bouche. Enfin, on l’amoindrit considérablement, afin qu’elle échappât aux bulles d’interdiction lancées contre elle par le pape Grégoire VII. Cet implacable ennemi de toutes les puissances de la terre ne pouvait ménager la barbe ; mais