ma bouche ne vous nommera pas. Quand un voyageur medemandera : Les as-tu vus passer ? Je dirai : Oui, tes cavales qui hennissent, elles sont allées au champ.
Mille ans, encore mille ans, et autant de jours
et autant de nuits sont écoulés. Non, pas
encore ; n’éveillons pas dans leurs lits les
villes que nous gardons. Que les rois dorment
sous leurs couronnes, les dieux sous leurs
palanquins. Voyez ! tout va bien. Les fleuves
s’en vont, sans murmurer, dans leurs vallées ;
les étoiles diligentes allument leurs lampes
dès le soir, sur leurs tables, pour filer
leurs robes d’or ; le désert, sans trouver
son chemin trop long, n’attend pas, pour
pousser son sable, que nous aboyions autour
de lui ; l’Océan, obéissant, court vers sa
grève sans que nous ayons besoin de mordre
son poitrail d’écume. Reposons-nous ; broyons,
ruminons nos acanthes et nos grenades mûries
sous notre portique de Luxor.
Comme un chien de berger, restons couchés pour
veiller, céans, à la porte du monde. Écoutons
partout à l’entour. S’il nous arrive, par
aventure, quelque bruit d’une ville qui
s’écroule, d’un dieu nouveau, ou d’un peuple
qui s’émeut, nous hurlerons, tous ensemble,
avec nos bouches de pierre, avec nos voix de
granit : Holà ! Holà ! berger du ciel, sors
de l’étable ; voilà quelqu’un qui passe.
Thèbes.
Mon beau sphinx de cent coudées, qu’avez-vous à
faire d’aboyer si haut ? M’est-il venu un
messager de Saba ou du Taurus ?
Le Sphinx.
Ni messager, ni écuyer. Dormez encore.
Thèbes.