e lumière ou d’amour, mais de deuil, de ténèbres et d’obscurs soucis. C’est là pour moi mon diadème. Quand les rois me rencontraient, ils m’ouvraient le passage, et ils murmuraient entre eux : l’avez-vous vu ? Vraiment notre couronne, à nous, de diamant et de saphir, n’est pas encore si pesante ni si bien nouée sur notre tête que sa noire couronne. Quand le flot me maudissait dans ma barque, l’orage dans mon sentier, l’épée dans son fourreau, la foudre sur ma tête, ils se disaient tout bas : prenons garde de le toucher, puisque les doigts du Christ l’ont touché avant nous.
Le Christ.
Le monde me dira si tu as laissé quelque peine en
arrière. Vallées, peuples, montagnes, est-il
vrai qu’il n’est pas resté dans l’abîme une
douleur qui n’ait été cueillie ?
L’Univers.
Tout ce que vous aviez semé de douleur dans mon
sillon a été moissonné en son temps. Toujours
il s’est trouvé quelqu’un auprès de moi pour
boire ma ciguë. Toujours, si mon flot était
livide, si mon ciel se voilait, si mes fleurs
se fanaient, il s’est trouvé alentour une âme
qui se fanait, qui se voilait, mieux que mes
fleurs, mieux que mon ciel. Le matin, je
trempais mon éponge de fiel et de vinaigre ;
toujours quelqu’un la pressait sur ses lèvres
dans la nuit jusqu’à la dessécher. Quand mon
soir a approché, j’ai rempli ma table de fruits
empoisonnés, de trompeuses écorces, et mon
verre de larmes, jusqu’au bord. En voyant le
festin, les dieux s’en sont allés ; puis les
rois, et les peuples après eux. Ahasvérus
seul est resté au bout de ma table vide,
comme un compagnon insatiable qui ne se retire
qu’au matin.
Le Christ.