Répondez, mort, dans votre cercueil ; est-ce nous que vous attendez pour vous ressusciter ?
Le Poète.
Non, ce n’est pas vous. Celle que j’attends a la
voix encore plus douce. Son air est aussi plus
céleste. D’un regard elle m’aurait déjà, comme
Lazare, tiré du fond de ma poussière. Passez
toujours, et dites-moi ce qui vous a fait mourir.
Une Voix.
Mon front était pur comme le front d’un ange, mais
mon cœur était vide. Mes yeux étaient profonds
comme le ciel, mais comme le ciel sans une
étoile. Le monde m’appelait sa divinité ; moi,
je ne croyais à aucun Dieu. Je n’ai rien aimé.
-voilà pourquoi je suis morte.
Deuxième Voix.
sur un tilleul mon nom est écrit à l’endroit d’où
les Vosges regardent Spire. Quand le Rhin
coulait, c’est lui que je voyais, les jours
de fête, en sortant de ma ville. Il y a dans
les vignes, là, au pied du Mont-Tonnerre,
sous les noyers, en face de l’église, un sentier
où mon cœur s’est brisé de lui-même. Je
croyais cueillir un baume dans la mort ; mais,
en me réveillant, ma peine trop tôt recommence.
L’espérance me fatigue autant qu’un brin
d’herbe à soutenir. Ah ! Mon père, où êtes-vous
pour m’apporter à boire ? J’ai la fièvre.
Où êtes-vous, mon petit frère, pour relever
mon chevet ? Si vous voulez que je revive,
allez dire au seigneur d’effacer dans mon
âme, avec son doigt, la vigne, la montagne,
le noyer, le sentier, et mon nom aussi, comme
sans peine il les a effacés de la terre.
Ni demain, ni après, celui qui sait qui je suis
ne reviendra