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AHASVÉRUS.

Ahasvérus.

N’as-tu pas entendu l’Océan ? Il n’y a plus que toi qui croie à ton Seigneur. Veux-tu le connaître mieux que le bord des fleuves et que le sable de la mer ?

Rachel.

Plus l’océan se baisse pour chercher sa goutte d’eau, plus la forêt se dessèche sur ma tête, plus l’étoile se cache, et mieux je vois briller ses yeux dans la forêt, et son manteau au firmament.

Ahasvérus.

Pour moi la nuit ne fait que s’entasser.

Rachel.

Ne te souviens tu pas, quand tu l’as vu sur le vitrail de la cathédrale, et qu’il a dit : C’est Ahasvérus ?

Ahasvérus.

Que d’années écoulées !

Rachel.

Elles ne nous ont pas faits plus vieux d’un jour.

Ahasvérus.

Regarde. Ce soleil qui pâlit, n’est-ce pas son auréole qui s’est éteinte sur sa tête ? Cet azur du ciel sous le nuage, n’est-ce pas le reste de sa tunique que la tempête déchire ? Ce lit que la mer vient de quitter, n’est-ce pas son sépulcre qu’elle lui a taillé dans le roc ?

Rachel.

Ahasvérus, toi qui vivras toujours, ne parle pas comme parlent les morts.

Ahasvérus.

Si j’étais né aux premiers jours du monde, quand l’étoile en se levant, la source en voyant le sable de son lit, la fleur en regardant le ciel pour la première fois, l’oiseau en secouant son duvet sur l’abîme, disaient : Maître, nous voici ; qu’avons-nous à faire pour gagner notre salaire