m’envoyer, du milieu des carrefours, les chants d’amour qui me berçaient hier, il aurait mieux valu me cacher dans mon lit. Ainsi les rois ne me jetteront plus leurs coupes d’or pleines de vin de Chypre ; et le doge de Venise, que j’avais pour fiancé, ne viendra plus passer à mon cou son collier de perles.
Ahasvérus.
Non. N’attends pas davantage. Le bucentaure n’ira
plus, avec sa quille dorée, se bercer dans tes
flots. La cloche de Venise ne sonnera plus ton
mariage. Le doge, avec son manteau d’hermine
brodé, n’ira plus sur la poupe te passer à ton
doigt ta bague d’épousée.
Oh ! Va-t’en à présent, si tu veux, sur ta route,
donner tes soupirs à tes grottes d’azur, tes
baisers au sable du Lido, et tes caresses
d’amoureuse à tes golfes endormis. Balance
dans tes bras une vieille barque échouée,
toute chargée de ton limon. Couronne, si tu
veux, de tes fleurs des lagunes, l’ancre
rouillée d’une galère mise en poussière. Lave,
comme une femme à ton lavoir, une voile
souillée, trouée par la tempête et que ta
brise maintenant craint de toucher. Va
demander, soir et matin, en murmurant sous
les balcons de la ville, comme un pauvre
quêtait dans la rue, tes sérénades embaumées
dont tes vagues sont avides, ta part de fleurs
et de parfums dans le festin des rois, tes
voiles de femmes, ta madone avec sa lampe
allumée, les banderoles qui jouaient sur
ton sein, et l’épée bénite que ceignait ton
fiancé à ton côté. à présent, va chercher tes
rivages. Tu n’y trouveras plus pour ta soif
que du sable et des joncs. Tu ne monteras plus
pour ta noce sur les dalles de ton palais ducal.
Tu n’auras pour amant que l’étoile fatiguée
qui se repose le soir, que l’anneau de fer
suspendu au rocher, que la rame brisée, que
la maille usée d’un reste de filet, que