Dès que mes yeux ne le voient plus, je souffre, mon cœur me pèse, ma tête est vide.
Berthe.
Il devrait pourtant agir autrement qu’il ne fait :
mille bruits, dans la ville, courent sur son
compte ; il ne fait rien pour les démentir.
Cela te compromet ; si j’en croyais Albert,
je ne devrais déjà plus sortir dans la rue
avec toi ni avec lui.
Rachel.
Ma bonne Berthe, ne m’ôte pas tout à la fois.
Qu’étais-je sans lui ? Avant lui ? Dis-moi.
Le ciel, je le regardais sans amour, et la
terre sans désir. En entendant le bruit des
cloches, je rêvais que j’étais tombée de je ne
sais quel séjour que je regrettais sans le
connaître. Quand je passais près d’un ruisseau,
son eau me disait : vois-tu, Rachel, je vais,
je vais vers un pays d’amour où toi jamais
tu ne retourneras. Si je levais les yeux, je
trouvais toujours un nuage qui me disait tout
bas : vois-tu, Rachel, je vole, je vole dans
le ciel, plus haut que jamais toi tu ne remonteras.
Si j’entrais dans l’église, j’oubliais sur
la porte ma prière. Du bout des lèvres, je
murmurais des mots vides, et ma tête s’épuisait
à chercher des noms que je ne trouvais plus.
à présent, au contraire, je prie avec délice
pour lui ; il y a des moments, pendant que
l’orgue joue, où c’est le ciel qui m’environne.
Berthe.
Vois-tu ? Ce qui ne me plaît pas en lui, c’est
qu’on ne le voit jamais à l’église. Il passe
pour un grand hérétique.
Rachel.
Et moi, je l’ai vu cacher ses yeux dans ses deux
mains, sangloter le jour où nous nous promenions,
par hasard, vers le grand crucifix qui est à
l’entrée de la ville. Sa peine