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jamais rencontrer, n’est-ce pas ? Toujours regarder, et ne jamais voir venir ! Qui l’a dit ? Est-ce vous, rois chevelus, sur vos chevaux sauvages ? Et les pierres de ma route savent-elles aussi le secret du Christ ? Je me suis précipité de la cime des Alpes ; un aigle a étendu ses ailes pour me porter sur l’herbe verdoyante. J’ai marché vers le flot d’un lac sans fond pour me plonger dans les cieux vides qu’il roulait ; le flot s’est enfui devant moi ; il n’a laissé sous mes pieds que les pierres qu’il limait, et les os qu’il usait l’un contre l’autre.



Le Cheval d’Ahasvérus.

Maître, votre plainte, je l’entends, et je n’y puis rien changer. Mes cheveux, plus longs que ceux d’une femme, jusqu’à terre font pleuvoir ma sueur, une sueur de sang. Dans ma bouche, mon frein s’est usé. En un jour, quand je suivais sans vous mon amoureuse, je passais, sans me lasser, le désert avec ses quatre fleuves. Mais votre douleur est plus large que le désert d’Asie et que la mer de Macédoine ; jamais on n’en voit les bords.

Vos soucis sont trop lourds ; votre plaie, dans votre sein, m’est trop pesante à porter : trop durement votre mal me point et m’éperonne. Sous vos pas votre chemin s’allonge, et jamais cavalier n’a marché si longtemps. Votre herbe de pâture ne croît que sur des ruines. Dans mon abreuvoir, vous mettez des larmes. Ni mes pieds ni mes flancs ne peuvent plus courir.

Si vous m’aimez, dans cet endroit enterrez-moi, sous ce gazon de feuilles où les cavales bondissent. Sur mon cou, maître, tressez-moi ma crinière et laissez-moi ma housse bariolée, mes étriers, et ma selle d’ivoire aussi, et encore le reste de mon mors d’argent à ronger.

Sur ma litière noire, je rêverai de vous. En fermant ma paupière trop lasse, je pleure de votre peine, mais non pas de la mienne.



Ahasvérus.