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c’est un chamois qui bondit sur le rocher pour
fuir le chasseur. J’ai vu le Necker quand il tarit
dans le sable ; c’est une cavale de labour
qui meurt sous le fouet à la porte de son
maître. J’ai vu le Danube quand il revient
en arrière pour regarder deux fois la
cathédrale d’Ulm ; c’est la crosse d’argent
de monseigneur l’évêque qui reluit et se tord
au soleil. Mais ni le chamois sur le rocher,
ni la crosse de l’évêque, ni la cavale à la
porte de son maître, ne me plaisent tant qu’un
soir au bord du Rhin. écoutez ! Ma cornemuse
a appris à résonner : il a sonné minuit,
priez le seigneur et la vierge Marie. Le
Rhin aussi me connaît avec ma trompe ; c’est
moi qui l’endors au pied des tours, auprès
des barques, autour des îles ; c’est moi qui
l’éveille, tous les dix ans une fois, quand
il change son lit comme un bourgeois qui se
retourne à minuit sur le côté. Il a pour
rideaux une forêt de châtaigniers ; pour
litière, il a des coquillages blancs, et une
montagne toute à lui pour y poser sa tête.
L’ombre des tours ensorcelées sanglote
aujourd’hui dans chacun de tes flots, mon
vieux Rhin. Est-ce un fantôme qui nage dans
ton rêve ? Le bruit des herbes dans les bois,
de la pluie dans les grottes, sont-ce des
mots entrecoupés dans le songe des étoiles,
comme ceux qu’on entend à chaque porte, dès
que la ville est endormie ? La lune, le roi
des veilleurs, le sait mieux que moi. La
voilà qui sort de son gîte avec sa cornemuse
et son bâton d’argent, pour aller crier l’heure
dans la ville du ciel.
Le Roi Dagobert, à la fenêtre de sa tour.
Gentil veilleur, parle plus bas. La reine est
endormie à cette heure dans son lit d’or massif.
Ma lampe s’est éteinte : j’ai mis mon manteau
d’écarlate au clair de lune, et ma couronne
de laiton pour te regarder passer. Dis-moi
ce que l’on voit à minuit dans mon royaume.
Le Veilleur.